Si Dieu a créé le monde...
Devant ma télé, l'enfant que j'étais il y a des années fut emporté par un western singulier de 1971. Comme le début d'un rêve étrange d'un navire voguant sur la terre, le générique du CONVOI SAUVAGE montrait la lente progression d'une expédition de trappeurs trainant une lourde embarcation montée sur roues.
Ces trappeurs, découvreurs des nouveaux horizons au nord du Dakota, lestés de fourrures de castors, rejoignaient le fleuve Missouri en espérant, un jour, rouler sur l'or.
Puis, s'éloignant du groupe, un éclaireur parti chasser se faisait surprendre par un ours. Son corps en lambeaux même recousu ne pourrait en réchapper. Mon sang de jeune spectateur ne fit qu'un tour. Le héros était mort et le film venait à peine de commencer.
Sa fin étant inéluctable, le chef de l'expédition (son père adoptif) et ses hommes décidèrent de l'abandonner. L'embarcation avec son mât en forme de croix se remit en marche. Mais la caméra ne la suivit pas. Mon attention en était décuplée.
Livré à lui-même, l'agonisant était à la merci de cette nature environnante sans pitié et aux Indiens menaçants qui y vivaient. Il se mit à ramper comme une bête blessée. Peu à peu, il s'accrocha à tout ce que cette nature pouvait lui donner. Le tapis de feuilles pour se cacher et se couvrir durant la nuit. L'eau de la rivière pour s'abreuver. L'écrevisse, les baies pour se nourrir. Peu à peu, la nature le ramena à la vie. Sauvage et belle, elle était donc pleine de ressources pour celui qui la respectait avec humilité.
Tandis qu'il se remettait sur pied, le récit parsemé de flashbacks nous dévoilait son passé torturé. Dans l'un d'eux, l'enfant en colère qu'il était ne parvenait pas à répéter ce qu'on lui ordonnait de prononcer : « Dieu a créé le monde. »
Dieu l'avait depuis longtemps abandonné et pour se réchauffer l'hiver venu, il n'hésitait pas à déchirer quelques pages de sa bible pour en faire un excellent combustible. Sa haine le faisait tenir. Pour se venger, il devait survivre et progresser dans cet environnement hostile. Caché, il observait un groupe se faire massacrer par les sauvages. Plus loin, dans l'une des plus émouvantes scènes de l'histoire du cinéma, il contemplait une squaw enfanter en silence derrière un arbre. Son épreuve prenait alors un sens. Tout était à sa place dans ce monde. Une expérience unique, un voyage initiatique, une renaissance à la vie s'offraient à lui. Il avait un fils qu'il avait délaissé. Et plus il avançait, plus son désir de vengeance se dissipait. Plus la vision de son fils s'imposait. Sa foi en l'humanité retrouvée, il pardonnait l'erreur des hommes civilisés tout comme lui s'était trompé.
Sur le même sujet, THE REVENANT de Alejandro G. Inarritu fait écho au CONVOI SAUVAGE de Richard C. Sarafian sans pouvoir se soustraire à la comparaison.
Cette seconde version est esthétiquement superbe. La mise en scène est grandiose, mais ne parvient pas à insuffler la même générosité. Surtout, il ne délivre pas le même message. Leonardo Dicaprio n'est animé que par la vengeance et, sans le dévoiler, le final fait un compromis avec celle-ci. Le scénario est différent, certes, mais cette version s'apparente plus à un glacial survival qu'au lumineux retour à la vie de l'original.
Pour Inarritu, la magnificence de cette nature est d'origine divine. Les mille souffrances subies par Dicaprio prennent des allures christiques quand, dans un rêve, il se retrouve dans les vestiges d'une église où une cloche aphone se ballote sous le souffle du vent. Les hommes civilisés assoiffés de sang et d'argent font de ce paradis terrestre un enfer. On ne sent aucun regard bienveillant envers les Indiens, relégués le plus souvent au rôle de menaces constantes. Ici, point de rédemption, juste des barbares qui essayent de s'entretuer pour s'enrichir ou survivre.
En définitive, deux films très différents tournés à des époques opposées.
Dans les années 70, le mouvement hippie imprégné de liberté et du refus de la société de consommation favorisait la quête intérieure de spiritualité pour mieux vivre en communauté. Une démarche qui était peut-être utopiste, mais qui débordait d'espoir et de foi en l'humanité.
Aujourd'hui, la pollution grandissante a développé une prise de conscience écologique. Une nécessité vitale que nous sommes pourtant incapables de mettre en marche. Une torpeur glaciale nous gagne. Comme dans THE REVENANT, Dieu est présent partout, mais il ne peut rien contre la noirceur de notre âme. Nous courons à notre perte pour quelques peaux de castors et pour donner aux autres tous les torts.
Si Dieu a créé le monde alors il a créé l'homme pour le détruire.